La clarté : pour qui ?

mardi 18 janvier 2011
par  Admin

Francine CLOUTIER
Université Laval

Parmi les qualités attendues d’un texte, la clarté occupe une place prépondérante. Elle n’est toutefois la plupart du temps considérée que comme une propriété linguistique, comme si on tenait pour acquis que les caractéristiques linguistiques étaient suffisantes pour assurer la clarté d’un texte. Cependant, un texte n’est pas clair en soi, même s’il traduit le plus adéquatement possible la pensée de son auteur et même si sa formulation linguistique est sans défaut. Un texte en finance peut être clair pour les conseillers en placements financiers, les actuaires, les banquiers mais pas nécessairement pour leurs clients. De même, vous ne comprenez probablement pas l’énoncé (1), même si sa syntaxe est simple et son vocabulaire tout à fait courant, sans ambiguïté [1] référentielle ni sémantique :

(1) La rivière était sèche depuis longtemps, tout le monde a assisté aux funérailles. (Blass 1990 : 84 - 86)

Il n’y a aucune difficulté conceptuelle en cause ici, vous décodez parfaitement l’énoncé mais vous ne le comprenez tout de même pas. Les habitants du Burkina Faso et du Ghana, ou encore les gens qui connaissent leur culture, le comprennent pourtant, car ils savent que lorsqu’une rivière est sèche depuis longtemps, son esprit est mort, et que chaque fois qu’un esprit meurt il y a des funérailles.

Par conséquent, si un énoncé ou un texte peut être clair pour certaines personnes et pas pour d’autres, c’est que les informations [2] dont disposent les destinataires sur le sujet traité dans l’énoncé ou le texte ont une influence sur sa compréhension. Ces informations préalables à la lecture sont une des caractéristiques des destinataires à prendre en compte dans l’évaluation des différents facteurs d’intelligibilité textuelle, d’après les recherches sur les facteurs qui facilitent la compréhension (Sorin 1996 : 70 - 72). D’autres caractéristiques des destinataires sont en effet à considérer.

Les caractéristiques des destinataires

Le terme intelligibilité est ici employé au sens que lui donnent Préfontaine et Lecavalier (1996 : 99), c’est-à-dire « l’ensemble des caractéristiques [d’un texte] qui en permettent une compréhension la plus exacte possible ». Cette définition inclut la lisibilité typographique (legibility), la lisibilité linguistique (readability) et d’autres caractéristiques du texte telles son contenu conceptuel, sa densité informative, sa cohésion et sa structure (Préfontaine, Lecavalier 1992 : 96, 1996 : 99). Ces caractéristiques textuelles sont à évaluer par rapport à celles des destinataires (Sorin 1996 : 70 - 72).

Les tentatives de mise au point de formules ou de tests ont en effet contribué à faire prendre conscience qu’il fallait tenir davantage compte des caractéristiques des destinataires dans l’évaluation des facteurs d’intelligibilité textuelle (Richaudeau 1979 : 144). Outre les informations dont ils disposent sur le sujet traité dans le texte, les caractéristiques des destinataires qui ont été identifiées sont les suivantes : leur âge, leur niveau scolaire, leur milieu social, culturel, leurs capacités cognitives et linguistiques, leur intérêt (Richaudeau 1979 : 133, 136, 138, 286 ; Zakaluk, Samuels 1996 : 49) et leur attitude envers la lecture en général et envers la lecture d’un texte particulier (Boyer 1992 : 8), leur intention de lecture (Sorin 1996 : 70 - 72). Ces différentes caractéristiques des destinaires participent au fait qu’ils ont des environnements cognitifs globaux différents, au sens de Sperber et Wilson (1995 : 41), les auteurs de la théorie de la pertinence, une théorie cognitive de la communication.

L’environnement cognitif global d’un individu

L’environnement cognitif global d’un être humain comprend sa représentation du monde ainsi que l’ensemble des faits et des hypothèses qui lui sont manifestes (Sperber, Wilson 1995 : 38 - 40 ; Reboul, Moeschler 1998b : 69). Sa représentation du monde est constituée de diverses représentations mentales, dont des croyances, des valeurs, des souvenirs, des intentions, des préférences, des états d’esprit (être gai ou triste) et aussi des représentations mentales complexes comme les langues, les idéologies, les codes (Sperber 1992 : 410 ; Sperber, Wilson 1995 : 38, 72 - 75). Les faits qui lui sont manifestes sont les faits qu’il peut percevoir ou inférer par déduction à partir d’un phénomène ou d’un stimulus à un moment et dans un environnement physique donnés et dont il accepte la représentation mentale comme vraie ou probablement vraie (Sperber, Wilson 1995 : 39, 151). Ces faits comprennent non seulement les faits dont il est conscient, mais aussi tous les faits dont il est susceptible de devenir conscient à un moment et dans un environnement physique donnés (Sperber, Wilson 1995 : 39). Il en est de même des hypothèses mentales qu’il construit ou qu’il est susceptible de construire à partir de faits, ou de dériver de ces hypothèses ou d’autres hypothèses qu’il a en mémoire (Sperber, Wilson 1995 : 39, 151). Ces hypothèses manifestes peuvent être vraies ou fausses, mais toutes les hypothèses qu’un être humain peut construire et accepter comme vraies ou probablement vraies lui sont manifestes (Sperber, Wilson 1995 : 39). Ainsi, les bruits, les odeurs, les couleurs perceptibles dans son environnement physique lui sont manifestes même s’il ne leur prête pas attention ; de même, des hypothèses qu’il ne se représente pas mentalement, comme : « Noam Chomsky n’a jamais déjeuné avec Jules César », lui sont manifestes, car il peut les dériver d’hypothèses qu’il a déjà en mémoire (Sperber, Wilson 1995 : 40, 41).

Toutefois, les environnements cognitifs globaux des êtres humains sont tous différents parce que ces derniers ne se construisent pas tous la même représentation du monde (Sperber, Wilson 1995 : 41). Ce que tous les êtres humains utilisent dans leur construction de leur représentation du monde, ce sont les capacités cognitives qu’ils ont en commun avec les autres individus de l’espèce humaine, ainsi que des expériences, des enseignements et des points de vue qu’ils partagent avec leur groupe culturel d’appartenance (Sperber, Wilson 1995 : 16). Cependant, ils ne construisent pas tous les mêmes représentations mentales et ne font pas tous les mêmes inférences à cause notamment de différences dans leur environnement physique particulier, leurs habiletés cognitives, telles les habiletés perceptives et inférentielles, leur expérience, leur langue, leurs concepts, leurs connaissances, leurs souvenirs, leurs théories, leurs croyances religieuses, leurs valeurs, etc. (Sperber, Wilson 1995 : 38). Ils sont même susceptibles d’entretenir des pensées et des croyances différentes sur la base du même environnement (Sperber, Wilson 1995 : 19). Il s’ensuit, d’une part, qu’une information peut être pertinente pour un individu et pas pour un autre et que, d’autre part, il est nécessaire que deux individus (ou plus) partagent un environnement cognitif mutuel pour qu’il y ait communication.

La pertinence d’une information : effets cognitifs et efforts de traitement

Les informations traitées par le système cognitif d’un être humain proviennent de quatre sources : des systèmes perceptuels (les stimulus ou autres phénomènes observables), du décodage linguistique, des hypothèses et schémas d’hypothèses qu’il a en mémoire ainsi que de la déduction (Sperber, Wilson 1995 : 81, 107, 150). Ainsi, les mécanismes de la perception associent un stimulus sensoriel à une identification conceptuelle de ce stimulus ; les mécanismes du système linguistique associent aux signaux acoustiques une forme logique non propositionnelle qui est complétée au cours de l’interprétation d’un énoncé et qui peut être intégrée à une hypothèse sur l’intention informative véhiculée par l’énoncé ; la mémoire conceptuelle contient pour sa part un large répertoire d’hypothèses complètes et de schémas d’hypothèses qui peuvent être complétés pour fournir des hypothèses complètes ; enfin, d’autres hypothèses peuvent êtres dérivées d’hypothèses déjà en mémoire (Sperber, Wilson 1995 : 81, 82).

Selon Sperber et Wilson (1995 : 261, 265), une information, quelle qu’en soit la source, est pertinente pour un individu si elle lui permet de modifier ou d’améliorer sa représentation du monde en y produisant des effets dits cognitifs parce qu’ils se produisent dans un système cognitif. Il y a production d’effets cognitifs positifs si l’information traitée permet à l’individu d’ajouter une ou des hypothèses nouvelles à sa représentation du monde, de modifier la force (renforcement ou affaiblissement) d’hypothèses qu’il entretenait antérieurement ou d’éliminer des hypothèses anciennes (Sperber, Wilson 1995 : 109 - 117, 265). L’addition d’une information nouvelle, ou nouvellement traitée, qui ne serait qu’une réplique d’une hypothèse déjà existante dans ses représentations mentales ne constitue pas une amélioration de sa représentation du monde, ni l’addition d’une information sans aucun lien avec celle-ci, ni une information qui contredit absolument ses croyances et ses certitudes (Sperber, Wilson 1995 : 109 - 117). Par exemple, vous n’avez pas pu tirer d’effets cognitifs de l’énoncé (1) parce que vous ne disposiez pas dans votre environnement cognitif des informations, ici d’ordre culturel, qui vous auraient permis d’avoir accès à un contexte d’interprétation. Vous n’avez donc pas pu juger cette information pertinente. Il en serait de même d’une information qui ne serait qu’une réplique d’une hypothèse déjà existante dans vos représentations mentales, telle celle qui est véhiculée par l’énoncé (2), ou d’une information qui contredirait absolument vos croyances et vos certitudes, comme celle qui est contenue dans l’énoncé (3).

(2) Cet article est en français.

(3) Le signe graphique a désigne la lettre b.

Toutefois, les effets cognitifs sont le produit d’un processus mental qui requiert attention, mémoire et raisonnement (Sperber, Wilson 1995 : 124, 141). La pertinence d’une information est par conséquent aussi déterminée par l’individu selon les efforts cognitifs qu’il doit fournir pour traiter cette information afin d’en tirer des effets cognitifs dans un contexte d’interprétation particulier et pour avoir accès à ce contexte (Sperber, Wilson 1995 : 124, 142 -150). L’individu traite effectivement toute information nouvelle ou nouvellement présentée dans le contexte d’autres informations, contexte qui représente un sous-ensemble de son environnement cognitif (Sperber, Wilson 1995 : 103, 138). Ce sont donc les effets cognitifs positifs obtenus par le traitement d’une information dans le contexte d’autres informations en proportion des efforts requis pour la traiter qui permettent à un individu d’évaluer la pertinence de cette information. Cependant, l’effort de traitement est inévitable si l’individu veut obtenir un effet cognitif quelconque, mais, à moins d’être totalement épuisé, il ne tient pas compte des efforts cognitifs de traitement à faire, ou même d’efforts supplémentaires, si ces efforts résultent en effets cognitifs, efforts qu’il ne fournira toutefois que s’il y trouve un bénéfice (Sperber, Wilson 1995 : 126, 131, 144).

L’évaluation de la mutualité de l’environnement cognitif

Tel que mentionné antérieurement, il est nécessaire que des individus partagent un environnement cognitif mutuel pour qu’il y ait communication. Les êtres humains ne peuvent jamais partager leur environnement cognitif global (Sperber, Wilson 1995 : 41), mais si des individus partagent un environnement physique, ont des capacités cognitives semblables, les mêmes faits ou hypothèses peuvent être manifestes dans leur environnement cognitif respectif ; ils partagent alors un environnement cognitif partiel, c’est-à-dire un ensemble de tous les faits ou hypothèses qui leur sont manifestes à tous, ce qui n’implique pas qu’ils en conçoivent pour autant des représentations mentales mais qu’ils sont capables de le faire ; cet environnement cognitif partiel est mutuel lorsqu’il est manifeste aux individus qui le partagent qu’ils le partagent (Sperber, Wilson 1995 : 41). Des individus peuvent également supposer qu’ils partagent un environnement cognitif mutuel s’ils ont reçu ensemble les mêmes informations ou s’ils sont membres d’un même groupe social (Sperber, Wilson 1995 : 19, 41). Dans un environnement cognitif mutuel, tout fait ou hypothèse manifeste est mutuellement manifeste (Sperber, Wilson 1995 : 42). Cet environnement cognitif mutuel procure toute l’information nécessaire à la communication, car il permet de faire des hypothèses sur ce qui est manifeste à autrui et sur ce qui est probablement mutuellement manifeste (Sperber, Wilson 1995 : 45). En effet, si une destinatrice connait l’environnement cognitif de son destinataire, ce qui est le cas quand l’environnement cognitif est mutuel, elle peut inférer quelles hypothèses il est susceptible d’entretenir et comment un changement dans son environnement cognitif, provoqué par son énoncé par exemple, peut influencer le déroulement des pensées de ce dernier (Sperber, Wilson 1995 : 46).

Ce qui permet à une destinatrice de faire des hypothèses sur les hypothèses qui sont manifestes à son destinataire, c’est le fait psychologique que les êtres humains s’attribuent mutuellement de la rationalité et des états mentaux, c’est-à-dire des représentations mentales diverses, telles des intentions, des croyances, des pensées, des désirs (Sperber, Wilson 1995 : 23 - 25, 58 ; Reboul, Moeschler 1998a : 48, 153). Dennett (1990 dans Reboul, Moeschler 1998a : 153) désigne ce fait psychologique par l’appellation stratégie de l’interprète : c’est une stratégie adoptée par les êtres humains leur permettant de prévoir et d’expliquer le comportement des autres humains, des animaux et même des objets.

Ainsi, pour arriver à être pertinente pour son destinataire, une destinatrice doit faire des hypothèses sur les codes et les informations contextuelles qui lui sont accessibles et qu’il utilisera pour interpréter son énoncé, sur les faits et hypothèses qui lui sont ou seront manifestes et qui leur sont ou seront mutuellement manifestes (Sperber, Wilson 1995 : 43, 44, 218). Elle doit également faire des hypothèses sur les capacités cognitives et d’attention de son destinataire, ainsi que sur les efforts de traitement qu’il est prêt à fournir et l’importance relative des effets cognitifs qu’il escompte tirer du traitement de son énoncé (Sperber, Wilson 1995 : 132, 217). Elle attribue ainsi à son destinataire des états mentaux à partir des informations qu’elle a sur l’environnement cognitif de ce dernier (Sperber, Wilson 1995 : 44). Elle formulera donc son intention informative selon son évaluation de la mutualité de leur environnement cognitif à un moment et dans un environnement donnés (Sperber, Wilson 1995 : 218, 224, 237, 247, 254).

Toutefois, il est souvent difficile pour une destinatrice d’évaluer l’environnement cognitif des destinataires d’une communication écrite parce qu’elle ne les connait pas, qu’elle ne sait pas qui ils sont individuellement dans la réalité. La difficulté est moins grande lorsqu’elle s’adresse à des destinataires spécifiques (Stubbs 1982 : 32). Par exemple, dans l’édition scolaire, les destinataires des manuels ne sont pas aussi imprévisibles que les théories de la réception le laissent entendre, car ils possèdent des caractéristiques affectives et cognitives assez homogènes qui sont connues (Boyer 1992 : 7, 8, 11). La difficulté d’évaluation est plus grande, comme l’a fait remarquer Stubbs (1982 : 32), lorsque le public auquel la destinatrice s’adresse est plus large, que ses caractéristiques sont hétérogènes et non précisément définies. Lorsque les destinataires d’une communication ne sont pas spécifiques, que leur environnement cognitif n’est pas bien connu de la destinatrice, cette dernière ne peut faire que des hypothèses très générales sur la mutualité de leur environnement cognitif. la stratégie de l’interprète lui permettra de supposer que les destinataires sont des êtres rationnels, qu’ils ont par conséquent certaines capacités cognitives, qu’ils ont des pensées, des intentions, des croyances, des désirs et que, comme tout être humain, ils cherchent à améliorer leur représentation du monde (Sperber, Wilson 1995 : 23 - 25, 38 ; Reboul, Moeschler 1998a : 48). La destinatrice fera en outre des hypothèses sur les hypothèses que les destinataires entretiennent sur le monde à partir de l’environnement physique et socioculturel dans lequel ils vivent (Blass 1990 : 13). Elle se créera donc une certaine description des destinataires et elle formulera son intention informative en conséquence (Sperber, Wilson 1995 : 158, 217).

Les choix liés à l’évaluation de l’environnement cognitif des destinataires d’un texte

C’est à partir de son évaluation de l’environnement cognitif des destinataires qu’une destinatarice choisit le contenu informatif d’un texte, par exemple, et la façon d’organiser, de formuler et de présenter visuellement les informations. Je traiterai brièvement des choix liés à chacun de ces aspects car il n’est pas possible d’en traiter ici en détail.

Les choix liés au contenu informatif. L’évaluation de l’environnement cognitif des destinataires d’un texte particulier guidera d’abord la destinatrice dans le choix du contenu informatif. Elle sera plus ou moins explicite selon qu’elle aura évalué que les informations qu’elle veut communiquer sont tout à fait ou partiellement nouvelles pour eux. Ainsi, si elle énonce (4a), elle croit que les destinataires ne connaissent aucune des informations qu’elle rend explicites. si elle énonce (4b), elle croit que les destinataires connaissent les informations explicitées en (4a) à propos du statut de sportif amateur. si elle énonce (4c), elle croit que les destinataires connaissent les informations explicitées en (4a) et (4b).

(4) a. Les Jeux olympiques sont des compétitions sportives internationales tenues tous les quatre ans. Seuls les amateurs, c’est-à-dire des gens qui ne sont pas payés pour leurs activités sportives, peuvent y prendre part. Les professionnels, c’est-à-dire des gens qui sont payés pour leurs activités sportives, ne peuvent pas y participer.

b. Les Jeux olympiques sont des compétitions sportives internationales tenues tous les quatre ans. Seuls les amateurs peuvent y prendre part.

c. Seuls les amateurs peuvent prendre part aux Olympiques.

(Sperber, Wilson 1995 : 218)

Le danger est évidemment de surestimer ou de sous-estimer l’environnement cognitif des destinataires et de rendre la communication difficile à comprendre ou même incompréhensible, ou encore de les offenser en leur présentant un contenu trop simple ou trop explicite pour eux (Sperber, Wilson 1995 : 218).

L’exemple donné en (4) illustre un cas où la difficulté conceptuelle des informations à communiquer n’est pas grande. Il est fréquent cependant que les informations à communiquer dans un texte représentent une difficulté conceptuelle assez importante et exigent par conséquent des destinataires plus d’efforts de traitement et d’attention (Blakemore 1993 : 109). La destinatrice doit alors choisir une façon d’organiser les informations, de les formuler et de les présenter visuellement qui corresponde aux capacités cognitives des destinataires et permette de conserver leur attention. En effet, si, d’une part, les destinataires font trop d’efforts pour traiter les informations, s’ils n’arrivent pas à obtenir d’effets cognitifs correspondant aux efforts de traitement cognitif qu’ils fournissent, ils risquent de juger ces informations non pertinentes et de ne plus leur accorder d’attention ; d’autre part, ils risquent également de ne plus prêter attention aux informations si ces dernières ne produisent pas suffisamment d’effets cognitifs (Blakemore 1993 : 109).

Les choix liés à l’organisation des informations. Ainsi l’évaluation de l’environnement cognitif des destinataires permet à la destinatrice d’essayer de communiquer les informations de façon à ne pas créer de difficulté injustifiée de traitement cognitif, ce qui implique une façon d’organiser les informations qui en laisse voir l’ordonnancement et l’articulation. Par exemple, il existe des moyens rédactionnels qui peuvent s’avérer pertinents pour rendre l’organisation d’un texte perceptible pour les destinataires (Richaudeau 1979, 1993), tels l’utilisation de textes indicateurs (titres, sous-titres, intertitres, titres courants) et de textes organisateurs (introductions, schémas, figures, tableaux et résumés), entre autres (Richaudeau 1979 : 80, 285). De plus, une certaine progression dans l’apport informatif peut s’avérer pertinente pour permettre aux destinataires de faire des liens entre les nouvelles informations qui leur sont présentées et celles qu’ils possèdent déjà, entre les nouvelles informations qui deviendront anciennes au fur et à mesure de leur lecture du texte et les nouvelles informations qui leur seront présentées subséquemment au fur et à mesure du déroulement linéaire du texte (Sperber, Wilson 1995 : 107, 286 note 25). Par exemple, si un ordre dans le degré de difficulté conceptuelle des informations à transmettre par rapport au sujet traité et à l’environnement cognitif des destinataires a pu être établi, c’est cet ordre de difficulté croissant qui pourrait être retenu, tout en s’assurant de ne pas donner trop d’informations nouvelles en même temps pour ne pas accroitre indument les efforts cognitifs (Richaudeau 1979 ; Sperber, Wilson 1995).

Les choix linguistiques. Pour ce qui est de la formulation linguistique, la destinatrice adoptera de même un lexique et une syntaxe qui guident l’interprétation dans le sens voulu tout en étant adaptés aux habiletés linguistiques des destinataires, de façon à ne pas exiger d’eux des efforts injustifiés de traitement cognitif (Sperber, Wilson 1995 : 249). En effet, une trop grande complexité linguistique peut avoir pour effet d’empêcher certains destinataires d’avoir accès au contexte d’interprétation ou pire, de les décourager et de leur faire abandonner la lecture du texte. En outre, si les destinataires jugent que le texte est volontairement obscur, ils peuvent douter du désir de la destinatrice de communiquer véritablement, ce qui leur fournit des raisons de refuser l’effort de compréhension qui leur est demandé (Sperber, Wilson 1995 : 157). Toutefois, s’il faut dans la mesure du possible limiter les efforts de traitement cognitif des destinataires à ce qui semble justifié, il est illusoire de penser que tout peut être simplifié. Il faut nommer les réalités ou notions à communiquer par leur nom : les mots plasma, lymphe dans un manuel de biologie, par exemple, ne peuvent pas être remplacés par des mots d’usage courant parce qu’ils renvoient à des réalités spécifiques (Richaudeau 1979 : 132). La complexité de plusieurs contenus informatifs se reflètent aussi probablement dans les structures syntaxiques, tel que l’a fait remarquer Pearson (1975 dans Richaudeau 1979 : 144, 145). De plus, il y a des sujets qui nécessitent plus que de la simple compréhension, ils exigent un apprentissage spécifique, des cours, de l’étude (Blass 1990 : 85).

Les choix graphiques. Sur le plan de la présentation visuelle, la destinatrice cherchera également à présenter les informations de façon que la lecture n’exige pas visuellement d’efforts indus de décodage, ne rebute pas les destinataires, pour qu’ils puissent se concentrer sur le contenu du texte (Richaudeau 1979, 1993 ; Dreyfus, Richaudeau, Ponot 1985). Elle cherchera également à rendre l’organisation des informations visuellement perceptible. Ainsi les signes typographiques (blancs de mot, corps, polices, styles [3] et graisses [4] de caractères, ainsi qu’une variété de signes tels que astérisque, étoile, boule, carré, flèche, losange, croix ou autres créés au besoin) peuvent être combinés aux signes de mise en pages (blancs d’importance variée, marges, renfoncements, justification, interlignage, disposition des éléments textuels et iconographiques, foliotation, trames, filets, couleurs, encadrés, mise en exergue) pour marquer visuellement la structuration textuelle, mettre en relief des ensembles rédactionnels : départ en haut de page pour marquer le début d’un chapitre, par exemple ; corps de caractères plus gros, capitales, gras et couleur pour signaler un titre d’importance ; jeu sur la force et la présence ou l’absence de ces éléments pour indiquer la subordination des intertitres à l’intérieur d’un chapitre ; jeu sur les blancs entre les paragraphes et les sections d’un chapitre ; utilisation de trames, d’encadrés pour distinguer un résumé ou un hors-texte ; positionnement, justification, corps de caractère, interlignage différents pour distinguer une note ou une citation du texte courant (Richaudeau 1979 : 284 ; Laufer 1980 : 81 - 83 ; Hébrard 1983 : 70, 72, 73).

C’est la pertinence pour les destinataires des divers stimulus utilisés qui permet de conserver leur attention, attention qui est nécessaire à toute communication (Sperber, Wilson 1995 : 131, 159, 267). Les différents choix effectués par la destinatrice en fonction de l’environnement cognitif des destinaires d’un texte sont par conséquent très importants.

Bref, essayer de faire en sorte que le texte corresponde à l’environnement cognitif des destinataires visés tant sur le plan du contenu informatif, de l’organisation de ce contenu, de sa formulation que de sa présentation visuelle, c’est essayer de tenir compte de tous les facteurs qui vont contribuer à optimaliser la pertinence du texte pour ces derniers. Le facteur primordial à prendre en compte est la pertinence des informations pour les destinataires, à savoir si elles leur permettront d’en tirer des effets cognitifs sans exiger d’eux des efforts de traitement injustifiés. Si le texte est adapté à leur environnement cognitif, les destinataires le jugeront probablement pertinent, et par conséquent ils le jugeront aussi clair. Sur le plan de l’évaluation, il ne s’agit donc pas d’évaluer un texte par rapport à ses seules caractéristiques linguistiques, mais de l’évaluer, quel qu’en soit le type, par rapport à l’environnement cognitif de ses destinataires, car un texte n’est pas clair en soi mais pour des destinataires particuliers.

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