Ma morte de Pierre Albert-Birot, ou l’expression poétique du deuil

Critique littéraire
mercredi 25 novembre 2020
par  Jean-Philippe Berger

La mort ne se connaît jamais pleinement, nous ne pouvons vivre quotidiennement avec elle : elle survient, nous frappe et nous tentons de nous en défaire. Si un jour elle vient à resurgir, une nouvelle fois, il nous serait demandé d’à nouveau apprendre à l’oublier. La mort est un sort si terrible, qu’il est sain d’esprit de chercher à ne pas s’y complaire, de s’en échapper de toutes les manières possibles.

Nous, professionnel du funéraire, nous connaissons ces moments qui frappent d’une fulgurance inouïe la vie des personnes, mais d’aucune manière nous sommes en mesure de montrer le chemin qui mène vers le mieux-être. Alors, comme vous, nous nous tournons vers les outils qui contribuent à faire le deuil, et à ce titre, l’écriture et la lecture apparaissent comme un moyen essentiel dans le processus de résilience.

L’écriture et la lecture apparaissent comme un moyen de résilience à plus d’un titre : l’écriture, dans un premier temps, permet de partager ses émotions pour mieux s’en défaire, et par là, dans un deuxième temps, puisque l’œuvre une fois écrite témoigne d’une histoire humaine, d’un sentiment, elle peut aider le lecteur à trouver les réponses à ses tourments. L’acte de lire comme l’acte d’écrire intervient ainsi dans le processus de résilience et le passage à autre chose.

Parmi les nombreuses œuvres qui traitent de ce sujet, et dont seulement un petit échantillon vous est proposé dans cette rubrique, Pierre Albert-Birot écrit, en 1931, une poésie élégiaque intitulée Ma morte. Tirée et imprimée à 30 exemplaires par l’auteur lui-même, cette poésie fait suite au décès de sa femme et caractérise si bien ce moment où, la mort apparaissant, le monde s’écroule autour de soi comme un anéantissement qui ne laisse de place pour autre chose :

J’étais peut-être un poète
Mais aujourd’hui j’ai trop de désespoir
Pour arranger ma douleur en poème
Je pense à toi et non aux mots

De même qu’il exprime avec justesse cette sensation d’impuissance, Pierre Labert-Birot exprime aussi le manque que la disparition d’un être cher fait naître ; ce manque si sournois qui n’apparaît qu’à posteriori du décès, et nous fait sentir ce regret amer de ne pas avoir dit plutôt nos sentiments ou de ne pas avoir vécu autrement. Il décrit ainsi cette idée que la personne défunte perdure dans les esprits, dans le quotidien, bien au-delà de la mort ; dans les traces de l’existence : un objet, un lieu qui font naître, plus qu’une simple réminiscence, l’existence à part entière de l’être aimé :

J’ai mis le cache-nez
Que tu m’avais donné
Si doux si souple et si chaud
Et j’ai dit c’est elle que je mets autour du
mon cou
Tu es ma laine douce
Toi froide du dernier froid
Tu peux encor me tenir chaud
[…]

Ta vie a sauté dans la mienne
Et je suis devenu à la fois
Le vivant et le mort
Vivante je pensais à toi
Morte je te pense
Je suis nous divin pluriel

L’auteur exprime aussi l’incapacité à reprendre une vie normale, à côtoyer d’autres personnes : cette forme de futilité de tout qui apparaît lorsque l’essentiel a disparu. Cette sensation se présente dans des petits riens de la vie, lorsque l’auteur, par exemple, ne peut se résoudre à rester avec ses amis qui sont passés à autre chose : leur discussion lui apparaissant si légère et insignifiante. Et la colère, Pierre Labert-Birot traite aussi dans ce poème de la colère qui apparaît, sous forme d’injustice, lorsqu’on a été privé de l’objet de notre amour.
Durant sept mois Pierre Labert-Birot, de ses propres mots, rédigera chaque page de ce poème seul, en prenant le temps de décrire chaque sensation et moment du deuil, puis, comme une étape ultime, il imprimera son livre de la même manière qu’il le faisait avec sa femme, toujours seul, en chuchotant les remarques que, tous les deux, s’échangeaient. Alors il terminera son poème ainsi :

Adieu à ton image
Qui me regarde te voit
Et tant que je vivrai
Germaine mon sourire
Tu seras une morte heureuse

Pierre Labert-Birot en finit de son deuil, il a trouvé le moyen de sa résilience. Dans un long parcours, dont l’écriture était un aspect important, il accède, après plusieurs mois, à un mieux-être. Chers lecteurs, s’il ne vous est pas donné d’écrire, peut-être, vous est-il favorable de lire ce poème et avec lui de savoir que les difficultés que vous traversez ont trouvé une réponse : malgré l’anéantissement et l’apparence insurmontable, une nouvelle vie peut exister, heureuse et pleine de promesses.


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