Les particules élémentaires de Michel Houellebecq, le fardeau de l’époque.

Critique littéraire
mercredi 25 novembre 2020
par  Jean-Philippe Berger

J’entends dire ici et là qu’approche à grands pas la fin de notre civilisation. L’occident se meurt, crie-t-on. Notre modèle politique, économique ou social qui nous avez paré des plus grandes dispositions se voit désormais tenu par une lente déconstruction, une décadence aphone qui broie, de nos institutions à nos vies, tous les constituants de nos sociétés occidentales. Houellebecq, dit-on encore, en cristallise les moindres effets. Des caricatures de cette décadence, en prisme, les personnages Houellebecquiens renvoient l’inconsistance de l’humanité prise en échec et, par là, l’éclatante vacuité de vies en errance dont les ambitions professionnelles, les désillusions amoureuses, les perversions sexuelles, les souffrances psychiques, les addictions jalonnent une existence désespérée.

Après Extension du domaine de la lutte, Houellebecq décrit une nouvelle fois la décadence sociale et sexuelle de cette fin de 21e siècle, et scelle par la même occasion, à coup de polémique, une hégémonie littéraire aux thématiques ancrées dans l’époque.
Par son style clinique, Houellebecq décrit les années 50, l’extension du salariat, la construction des lotissements pavillonnaires en série, les années 60 et la libération sexuelle empreinte de féminisme puis les années 70 et l’anthropologie matérialiste, le culte du corps et la consommation de masse.

Les deux personnages du roman, Michel et Bruno sont demi-frères. Leur mère Janine grandit dans la société permissive, fréquentant les milieux hippies. Elle épouse un chirurgien « viril », dont la réussite professionnelle est due à l’essor de son domaine d’activité, la chirurgie plastique. À la naissance de Bruno, ils se séparent laissant derrière eux les deux enfants à la charge de leur grand-mère.
Tous deux resteront affectés par ce début de vie. Michel devient chercheur en biologie, il se réfugie dans le travail et l’abstinence émotionnelle et physique, étant incapable d’avoir des sentiments. Seule sa grand-mère avait foi à ses yeux, lui provoquant, sa disparition, un traumatisme violent. Son frère Bruno, à l’opposé, devenu enseignant, multiplie les expériences amoureuses : « Consommateur sans caractéristiques, il accueillait cependant avec joie le retour des quinzaines italiennes dans son Monoprix de quartier ». Violé à plusieurs reprises lors de ses études en internat, il finira par se suicider.

Le nouvel homme hypermoderne, décrit dans ce roman, subit les ravages d’un libéralisme excessif. Le capital pour seul repère et sans renouvellement des doctrines philosophiques, sociales et religieuses du siècle dernier, on dit que cet Homo Sapiens 3.0 se voit tenu d’un profond pessimisme, contraint de porter le fardeau de l’époque, une torsion interne malmenant qui invalide l’être : « l’humanité non inscrite dans le cours régulier d’une ascension progressive, l’évolution humaine acquérait ainsi un tour chaotique, déstructuré, irrégulier et violent ». Selon l’historien Christophe Charles (2011), « L’homme occidental est entré dans un rapport malheureux à l’historicité ». Alain Touraine, quant à lui, parle de « déchirement », pour parler d’une décadence « qui atteint la personnalité individuelle autant que la société ».

Par son œuvre Houellebecq assoit un peu plus ces thématiques. Et pourtant, considérant les enjeux à venir, l’époque voudrait plutôt que nous soyons en pleine possession de nos moyens. Si un Nouveau Monde doit naître, celui-ci suppose une énergie et une force d’ensemble. C’est pourquoi, de toutes ces considérations, soient-elles pensées par beaucoup, rien n’oblige de les faire siennes. Je pense qu’au paroxysme d’une crise surgit le renouveau. Des marches pour le climat à l’appropriation de cet enjeu par les plus jeunes de notre société, l’environnement caractérise le mieux ce soulèvement populaire et cet accaparement d’un avenir à construire. Je crois encore que la crise n’est qu’une autre étape parmi d’autres. Inéluctable et surtout indispensable, la crise exhausse toutes les limites de nos sociétés et assure la clairvoyance de nouvelles perspectives. Enfin, je dirais que si Houellebecq, au siècle dernier, disait notre décadence, la fin de cette moitié de siècle verra, j’en suis sûr, naître les solutions d’une société nouvelle.


Publications

Derniers articles publiés

Annonces

La formation Rédacteur Professionnel

Si vous souhaitez des informations concernant la formation Master Rédacteur Professionnel, unique en France, contactez :
marie-emmanuelle.pereira@univ-amu.fr
veronique.rey.2@univ-amu.fr


Le programme de formation RP

Vous trouverez le descriptif des enseignements dans l’onglet "formation Rédacteur Professionnel"