MA DECISION
Il est sept heures. Le réveil sonne. J’ai à peine dormi, j’ai repensé une bonne partie de la nuit à ce que j’allais lui dire, lui donner comme arguments. Lui, c’est Pierre Leduc, le directeur du département finances, mon directeur. Il a la quarantaine, il est divorcé, il ne vit que pour son job. C’est d’ailleurs pour cette raison que sa femme Odile l’a quitté. Il n’est ni beau, ni laid. Je le trouve insipide. Il n’a pas de loisirs, juste son travail !
Diego, mon petit chat noir, vient me lécher la main droite.
« Tu as faim, mon Diego ? » lui dis-je.
Seule, je n’ai que lui depuis que Guillaume est parti. Oui, il m’a quitté, lui aussi, il est parti comme Odile !
Je me lève et toujours pensive à ce que je vais dire à Pierre, je me doute déjà de sa réponse.
« Non, il faut le mériter, il faut t’investir plus dans ton travail, il faut plus de rentabilité ! » Voilà, ce qu’il me répondra quand tout à l’heure, en arrivant au bureau, je demanderai à le rencontrer pour lui demander une augmentation. Car, depuis cinq ans, je travaille à la SOFIDEP, et je n’ai jamais osé demander quoi que ce soit. Mais, aujourd’hui, ce matin, je vais le faire. La discussion que j’ai eue avec Martine, ma sœur, m’a convaincue. Elle m’a donné les grands axes à développer et surtout les moyens pour ne pas me laisser intimider par lui.
« Flore, tu vas aller au bureau, tu vas demander un rendez-vous à sa secrétaire et exiger qu’il te reçoive dans la matinée. Puis, quand il te recevra, tu te mettras bien en face de lui, tu le regarderas droit dans les yeux et tu lui diras ce que tu penses de ses manières d’agir avec toi, de cette façon de te traiter, de cette sous-estime permanente. Tu lui rappelleras tout le travail que tu fais pour le service, qu’il peut toujours compter sur toi, que tu réponds toujours à ses demandes et que tu traites de nombreuses affaires. Il faut lui faire comprendre que tu as besoin de reconnaissance. Flatte le en lui insufflant qu’un manager doit être aussi à l’écoute de ses partenaires et qu’il doit avant tout reconnaître leurs qualités. Fier comme il est, il entendra peut-être ces arguments. »
Mais je ne suis pas comme Martine, je n’ai pas son caractère affirmé. Je suis plutôt du genre effacé, et c’est ce qui me perd.
Je me douche, vais dans la cuisine pour boire mon café. Puis, je prends mon sac, sors en claquant la porte de mon appartement.
« A ce soir, Diego. »
Au bureau, Jeannette, la secrétaire de Pierre, est déjà là. Terrifiée par ce monstre, elle est la première du département finances à prendre son poste et la dernière à le quitter. Je me demande comment subit-elle ça, pourquoi ne se révolte t’elle jamais ?
« Jeannette, j’ai besoin de rencontrer Pierre ce matin. Est-il disponible ? »
« C’est pour quoi ? » me demande-t-elle.
« C’est personnel, je veux le rencontrer, j’ai besoin de lui parler »
« Pierre ne reçoit personne sans en avoir la raison », me répond-t-elle.
Premier obstacle, que n’avait pas prévu ma chère Martine. Je fais quoi ? J’insiste.
« Jeannette, je te le demande comme un service, trouve-moi un rendez-vous avec Pierre, je t’en prie ».
« Flore, je t’aime bien. Mais, ce n’est pas possible. »
« Dis-lui que j’ai besoin de le voir urgemment pour l’affaire Cuissot ».
« Cuissot ? Le détournement ? »
« Oui, j’ai de nouvelles informations à lui communiquer ».
Bien sûr, ce n’est pas la véritable raison, mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour que je puisse l’entretenir. J’aurai un angle d’approche.
« D’accord. Attends, je consulte son planning. A dix heures quinze, il est libre. »
« Merci, Jeannette ».
Il est huit heures et demie. Je m’installe à mon bureau. Je prends le dossier Cuissot pour l’étudier. Jean-Pierre Cuissot, délégué du personnel et membre du comité d’entreprise, a réussi à détourner, à l’insu de tous, plus de deux-cent-mille euros. Le Directeur Général, Antoine-Marie Le Hainault, nous a confié l’affaire, en collaboration avec le service juridique. Nous devons analyser les comptes du C.E, procéder à des regroupements, étudier sa manière de ponctionner nos comptes...Les juristes prendront la suite.
Il est l’heure. L’heure tant attendue, l’heure de ce moment si appréhendé. Je repense à Martine, je repense à Guillaume qui ne pouvait plus supporter mon incapacité de refuser, mon inertie, mon manque d’affirmation.
Je prends mon courage à deux mains, je me lève, je me dirige vers le bureau de Pierre. Ma décision est prise, je vais lui demander une augmentation.