« Faut pas que j’oublie »

jeudi 21 novembre 2019
par  Cécilia Tarek Strano

« Faut pas que j’oublie. Faut pas que j’oublie. Oh, j’ai si peur d’oublier ! »

« Cela commence par un pas en avant, ensuite l’autre est entraîné. Deux secondes, deux souffles, deux clappements, deux enjambées. Voilà, je saute. Soudé à tous mes gestes, il m’empoigne en un éclair. Je virevolte. Il me propulse et je me perche dans ce monde céleste où j’enfreins les règles de gravité. Je reste quatre temps. Un, deux, trois, quatre. À quatre, je lâche. Pas avant. Quatre ! Tout est une question d’attention pulmonaire, l’air s’engouffre et s’échappe. Toujours. Quatre ! Il m’exalte aux hauteurs de l’Empyrée. »

« Faut pas que j’oublie. Au cœur de ma poitrine, mon bouillonnant souffle grandit. Je
m’abandonne à mon inspiration et à son rythme. Notre rythme. Une symphonie dont nous sommes les virtuoses maîtres. À cette comptine, je m’agrippe. Une note adossée à la partition, un nuage flottant au-delà du firmament, je voltige. »

« Je recommence. Encore. Parce que faut pas que j’oublie. J’inhale la sueur qui perle de mon front. Un pas en avant. Je m’exprime. Un pas en arrière. Il insuffle une espérance rassurante. Ensuite telle une lionne, je bondis. Il s’extasie et me saisit. L’élévation céleste me hisse gracieusement. Je tournoie au-dessus des visages. Trois tours. Pas un de plus. Pas un de moins. Trois tours. Quelle légèreté ! Lorsqu’il me propulse avec zèle. Et un. Et deux. Et trois. Et quatre. Quatre ! On se lâche mais il me rattrape au dernier moment, à la dernière seconde, à cet ultime instant. Le public se pétrifie. Nous soufflons unanimement, comme un seul cœur. L’unité dans cette intrépide circonstance où les Cieux ont pris possession de la Terre. »

« Faut pas que j’oublie. Je suis à deux centimètres du sol, je lévite et j’ai le sang qui me monte à la tête. Je vois la Terre, Il voit le Ciel. »

« Je continue. Parce que faut pas que j’oublie. Oui ! L’élan ! Cet élan grâce auquel, lorsque je me jette, je n’ai plus de crainte. Je me lance dans ses bras mi concentrée mi croyante. L’inébranlable foi en nos corps me hausse vers les éminentes transcendances. »

« L’élan ! Faut pas que j’oublie. Je prends une grande inspiration, mes côtes s’élargissent, il s’agrippe et me propulse au ciel. Quelle grâce, le monde ne fait plus qu’un avec nos gestes. »

− Liz ! C’est à toi de monter sur scène. Tu es prête ? demande le régisseur après avoir ouvert la loge de la jeune femme. Des écouteurs et un petit micro pendent à son cou. Seule sa tête a glissé par le pas de la porte.
L’artiste observe l’homme et acquiesce en lançant un sourire. Lorsqu’il referme, assise devant son miroir, elle se dévisage. Puis elle glisse ses yeux en haut du miroir vers une photographie mettant en scène cinq personnes. Il y avait une vieille dame au centre assise sur une chaise entourée de deux enfants âgés d’environ six ans, d’un homme et d’une femme. La petite fille était dans les bras de la femme et le petit garçon dans les bras de l’homme. Tous fixaient l’objectif et affichaient un gigantesque sourire. Sous la photographie était écrit : Saudade.

« J’oublie pas. C’est pour vous que je m’envole tous les jours. Je vous aime. À tout de suite sur scène. »


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