NOIR.

Première voix, joyeuse et comblée :
J’avais toujours rêvé d’être un artiste et j’y suis arrivé. Tant d’années d’entraînement et enfin, mon travail porte ses fruits. Mes amis, il est temps de fêter ça !

Seconde voix :
Sérieusement ? Tu te moques de nous. Moi, je ne te crois pas.

Première voix :
Je t’assure ! J’ai été pris pour un rôle. Bon, c’est un rôle violent, ce qui n’est pas ma tasse de thé. Vous me connaissez, je ne ferais pas de mal à une mouche. Mais j’ai la tête si dure que la compagnie n’a pu me proposer que ce rôle-là. J’avais postulé pour jouer le chien mais je n’ai pas de canines et mes aboiements ne sont pas authentiques.

Troisième voix :
Une compagnie ? (éclate de rire) Tu as reçu un coup dans le picot, non ?

Première voix, légèrement irrité :
Mais non ! C’est vrai ce que je vous dis. Je monte sur scène dès la semaine prochaine pour commencer les répétitions. Des amis m’auraient félicité et vous, vous doutez de moi et vous moquez. Oh ! (Silence)
(Puis théâtralement) Ô rage !
Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Ô rage !
Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !

Seconde voix, reconnaissant :
Je reconnais que tu as du génie. Mais comment veux-tu monter sur scène et donner la réplique alors que ta vie ne se résume qu’à sommer le monde de percussions.

Troisième voix :
Tu as perdu manche, mon ami. À force de cogner avec la pointe et la panne de ta tête, te voilà bientôt aux oubliettes ! Tu dévisses…

Première voix, en colère :
Je ne dévisse pas. Puis ma tête et mon manche sont en bonne santé. (une pause, puis reprend son discours calmement ). La compagnie Tac-Tac et bien elle, elle croit en moi. (un long silence s’installe)

Seconde voix (confus et mal à l’aise) :
On voulait pas te vexer. Raconte-nous.

Première voix (d’un ton réjoui) :
Bon, eh bien, si vous insistez. Alors la compagnie Tac-Tac est la compagnie de Martin et en ce moment, ils ont besoin de figurants. Depuis toutes ces années j’ai supplié qu’arrive ce grand jour. Ma carrière était en jeu et je voulais vraiment jouer une fois sur scène. Surtout que malgré toute l’huile de coude à laquelle j’ai droit, je ne pense pas passer le prochain hiver.... J’aurais sauté de l’établi s’il ne m’avait pas donné un rôle cette fois-ci. Mais la fortune a été avec moi, ô grâce, ô ciel !

Il y a des bruits de pas puis la lumière s’allume, un homme entre côté cœur. Un établi est au centre de la scène. Il y a de nombreux outils posés dessus : un marteau, une clé à molette, des clous, un tournevis. Un râteau et une pelle sont appuyés contre la table. L’homme se dirige vers le fond et fouille dans une boîte à outils.

Première voix (en chuchotant) :
Par contre je ne peux pas en dire plus… C’est un rôle muet.

L’homme s’approche de l’établi et ramasse le marteau et les clous.