Un jour dans la vie de Mrs Dalloway, rythmée par Big Ben

mercredi 28 novembre 2018
par  Céline Dubas

Virginia Woolf vous invite dans le Londres des années 1920 ! Entrez, le temps d’une belle journée de juin, dans les pensées et les souvenirs de quelques-uns de ses habitants. Accompagnez-les dans leurs promenades, leurs déjeuners et les préparatifs d’une réception, le tout rythmé par les battements imperturbables de Big Ben.

Fille de Sir Leslie Stephen, grand critique et biographe, Virginia Woolf est, avec son mari Leonard Woolf, la co-fondatrice de la maison d’édition The Hogarth Press. D’abord elle aussi critique, elle publie son premier roman en 1915. Dès ses premiers essais, Virginia Woolf se montre, d’après les mots d’André Maurois, « une observatrice sensible, adroite à noter les nuances changeantes des sentiments ». Mais l’écrivaine pense qu’on ne peut se limiter à décrire un caractère de l’extérieur et que c’est le cours de ses pensées qui fait de l’esprit humain ce qu’il est.

Sorti en 1925 en anglais, Mrs Dalloway rencontre un succès immédiat dans son pays. La version française ne sera publiée qu’en 1993 à la Librairie Générale Française. L’intrigue est on ne peut plus simple : Virginia Woolf nous livre le récit d’une journée de juin 1923, dans la vie de Clarissa Dalloway, habitante du quartier londonien de Westminster. Les heures de la journée s’égrènent au rythme des pensées de Clarissa et de ses acolytes et des coups irrévocables de Big Ben, la cloche du Palais de Westminster. Malgré le calme apparent, un certain suspense s’immisce…

Big Ben – compagnon bienveillant d’un plongeon en apnée

Prenez votre souffle avant de plonger dans Mrs Dalloway ! Si l’indéniable talent de Virginia Woolf à décrire les sentiments, changements d’humeur et souvenirs des protagonistes nous tient en haleine et nous pousse à poursuivre, le bloc de 200 pages que représente le roman – sans chapitre – rend la lecture peu aisée. Le style parfois poétique de l’écrivaine, ses longues phrases, son vocabulaire recherché et ses métaphores ne facilitent pas la tâche. Impossible de reprendre son souffle. Si ce n’est grâce à Big Ben, compagnon de route et véritable personnage du roman, dont les sonneries fournissent des repères temporels et soulignent parfois le passage d’un protagoniste à un autre.

« Il était midi pile ; midi à Big Ben ; dont les coups dérivaient vers le nord de Londres ; se mêlaient à ceux d’autres horloges, se mélangeaient dans un léger éther aux nuages et aux minces volutes de fumée puis mouraient là-haut parmi les mouettes – midi sonnait au moment où Clarissa Dalloway posa sa robe verte sur son lit, et où les Warren Smith descendirent Harley Street. »

Big Ben, Clarissa, Bourton, Peter, Septimus et les autres

Virginia Woolf ne se limite pas à nous livrer les monologues intérieurs de Clarissa Dalloway, son héroïne. Elle le fait pour de nombreux personnages, dont le lien avec Clarissa n’est pas toujours clair. Certains des lieux dans lesquels se déroule l’intrigue ont un rôle si important à jouer – tels Big Ben – qu’ils constituent eux aussi de véritables personnages.

Clarissa Dalloway est une élégante femme du monde âgée de 52 ans dont la passion est d’organiser des réceptions. Elle est l’épouse du député Richard Dalloway avec qui elle a eu une fille, Elizabeth. Ils vivent à Londres, dans le quartier de Westminster. Ce qui compte pour Clarissa, c’est « le plaisir de la beauté, de l’amitié, le plaisir de se sentir bien, d’être aimée et de rendre son intérieur adorable ». C’est pour cela qu’elle organise des réceptions, elle aime réunir les gens. Pour elle, la vie c’est cela.

Dès les premières pages, Clarissa se remémore avec nostalgie l’été de ses 18 ans. En plus de naviguer entre les différents protagonistes, le lecteur voyage ainsi régulièrement entre 1923 et cet été de 1889. Elle séjourne alors à Bourton, lieu qui fut le décor d’événements marquants pour plusieurs des personnages du roman. C’est en particulier à cette occasion qu’elle rencontra Richard et repoussa les avances de son prétendant de l’époque Peter Walsh. Peter ne se remettra jamais du chagrin de cette rupture. En 1923, de retour à Londres après cinq années passées aux Indes, Peter rend visite à Clarissa. Malgré le lien intense qu’il les unit, il déteste sa mondanité, sa dureté et ce qu’il juge être son côté diabolique. Leur relation est imprégnée de chamailleries incessantes.

« Quand elle pensait à lui, c’était toujours à leurs disputes, peut-être parce qu’elle tenait tant à ce qu’il ait une bonne opinion d’elle. »

« Elle se sentit extraordinairement à l’aise avec lui, le cœur léger, quand tout à coup l’idée l’envahit : Si je l’avais épousé, cette gaieté aurait été la mienne chaque jour. »

« Ils avaient toujours eu cet étonnant pouvoir de communiquer sans mots. Elle savait aussitôt quand il était critique à son égard. Il voyait clair dans le jeu de Clarissa. »

Virginia Woolf nous invite également dans les pensées de Septimus Warren Smith et de son épouse, Lucrezia. Septimus souffre d’une maladie mystérieuse, entre la folie et la dépression. Il navigue dans ses délires éveillés et menace régulièrement de se tuer, ce qui rend Lucrezia particulièrement malheureuse. Mais qui est ce Septimus que Clarissa ne connaît pas ? Pourquoi l’auteure l’intègre-t-elle dans son roman ?

Une tonalité parfois lugubre

Le récit est, en surface, empreint de légèreté – une promenade dans le parc, les préparatifs d’une réception, les souvenirs d’antan. Et cependant, la mort fait régulièrement intrusion dans les pensées des personnages bien au-delà des dires de Septimus. Et attise ce suspense, imperceptible mais bien présent au fil des pages.

« Cela avait-il de l’importance, se demanda-t-elle en marchant vers Bond Street, cela avait-il de l’importance qu’elle dût inévitablement disparaître à tout jamais ; que tout cela dût continuer sans elle ; fallait-il le déplorer ; ou bien n’était-ce pas consolant de croire que la mort était le terme de tout ? mais que d’une certaine façon dans les rues de Londres, dans le flux et le reflux des choses, ici, là, elle survivrait, Peter survivrait, ils survivraient l’un en l’autre, elle ferait partie, elle en était sûre, des arbres de chez elle, de cette maison, là … »

« Quoi qu’il en soit, la succession des jours ; mercredi, jeudi, vendredi, samedi ; se réveiller le matin ; voir le ciel ; marcher dans le parc ; et soudain voir Peter entrer ; et puis ces roses ; c’était assez. Après cela, comme la mort était inimaginable ! – que cela doive finir ; et personne au monde ne saurait combien elle avait aimé tout cela… »

« Si le moment était venu de mourir, ce serait maintenant le bonheur suprême ».

Laissez Big Ben mener la danse !

Grande adepte des histoires de vie, j’ai été séduite dès la lecture de la quatrième de couverture. Mon enthousiasme s’est retrouvé parfois malmené en particulier par l’absence de chapitres et le niveau soutenu de lecture. Il faut du souffle ! Mais heureusement Big Ben veille, et apporte une aide considérable au lecteur.

Le talent de Virginia Woolf à décrire les émotions de ses personnages vaut la peine à lui seul de lire le roman. Et on continue, page après page, aspirant à connaître la fin de la journée, à savoir ce qui unit Septimus à Clarissa et ce qui a bien pu se passer de si terrible en 1889…

Alors Big Ben pourra sonner minuit.


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