Un match truqué

mercredi 25 novembre 2020
par  Jean-Philippe Berger

J’entre dans la pièce, je sens les pulsations de mon cœur augmenter. J’aperçois son imposant bureau faire bloc au milieu de la pièce. Comme à son habitude, tout est en ordre. Les dossiers en cours, rangés dans des chemises épaisses, font l’angle du bureau. Ses stylos sont couverts par un fin tissu transparent et gîtent dans une boîte en bois. En prolongement, je vois son presse papier en fonte dorée, surmonté d’une statue à la posture glorieuse. Seule une chaise étriquée et assez sommaire, placée juste devant son bureau, vient couper avec l’ordre et la rigidité de la scène. C’est une chaise de bureau classique avec un tissu vert délavé sur l’assise. Sûrement une chaise de fortune pour les rendez-vous de ce genre. Les rendez-vous où aucun gros contrat n’est signé, où aucun argent n’est empoché : c’est une chaise pour moi.

Je le regarde. Il me fait signe de s’asseoir.

Je m’exécute.

Il allonge son bras, tape sur son clavier d’ordinateur.

L’immense bureau nous sépare. Lui, semble, à la fois, tout à fait loin et bien trop près. Il apparaît comme un vétéran des forces spéciales. Il semble être fait à la mesure de son bureau : imposant avec une forme carré et sombre. Son habillement est classique. C’est un costume deux pièces noir avec une cravate.
Au-dessus de lui, contre le mur, se trouve une photographie représentant des hommes d’affaires en train de se serrer la main sur fond de réussite entrepreneuriale. Je reconnais son père avec sûrement ses associés. Je vois leur sourire, ils me tétanisent un peu plus.

Sur la droite une bibliothèque couvrant l’ensemble du mur se prolonge jusqu’à une fenêtre. De ma chaise, j’aperçois le parc, les arbres et la rue qui mène au boulevard. La perspective et la lumière de fin de journée qui dessinent les immeubles donnent à croire à un mirage. Je me vois assis en terrasse à savourer le bon temps, à pécher de fainéantise. Je me vois raconter ma vie à un ami, lui dire les bonnes notes de ma dernière, nos projets avec Lucie, nos ennuis de voiture aussi. Je me vois me plaindre des taux d’intérêts qui ont augmenté et de notre budget serré de ces derniers mois.

Je reviens à moi, mon angoisse remonte. J’essaie de ne pas tressaillir. Pourtant, ici, tout est fait pour. Je suis dans une dissymétrie obscène avec les lieux. Ma façon d’être, mon assemblage vestimentaire, mon caractère et ma posture, tout est à l’opposé de ce que je vois face à moi. C’est un lieu créé dans le seul but de mettre en scène une abjecte comparaison avec celui qui oserait passer la porte. C’est un match truqué. Un déplacement et un forfait sur place.

Je me décompose.

Il me regarde. Il me demande pourquoi je voulais le voir.

Je bafouille…
Jamais je n’aurai cette augmentation.


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