La Peste !

Albert Camus
mardi 28 novembre 2017
par  Maxime Larcher

Camus dérange encore. Pour preuve les disputes en 2013, pour organiser une exposition qui devait lui rendre hommage. Déjà à la sortie de La peste ses détracteurs critiquaient le livre s’attaquant aux valeurs de l’auteur, les qualifiant de morale de Croix rouge pour philosophe de classes terminales. Comme quoi, la tempérance n’est pas une vertu unanime !

Une connaissance me rapportait que chaque été, elle relisait toujours les trois mêmes romans. La Peste de Camus était de ceux-là. C’est l’attentat de Nice en juillet dernier, qui a déclenché mon envie, de trouver un refuge, j’ai ouvert une deuxième fois le roman d’Albert Camus. Après l’horreur, élevée au rang de rite, que pouvait-il nous dire aujourd’hui ? Ce philosophe pédagogue, qui à travers ses fictions et ses essais, nous enseigne la mesure et la limite, la compréhension des raisons de l’adversaire et qui nous encourage à prendre nos responsabilités, ne demeure il pas chandelle dans nos ténèbres ? J’invite hommes politiques, intellectuels, journalistes ou tout autre lecteur à lire (ou relire) de toute urgence ce roman initiatique.

« Agir et savoir à quoi bon ! si l’on ne sait pas ce que l’on doit choisir. » [1]

1942, Camus est a Oran, il a 29 ans, il a retrouvé Francine dont il est amoureux. Depuis un an, il travaille à un nouveau roman. Victime d’une rechute de tuberculose, il est obligé de quitter l’Algérie pour se soigner. Il se repose en zone libre près de Saint-Étienne. Il vit avec cette perpétuelle menace de mort. Ces trois thèmes l’amour, la souffrance et l’exil servent de prétexte à l’intrigue.

Il est engagé par son ami Pascal Pia dans le journal Combat. Il consacre alors sa vie au journal. À la libération, le papier connait une renommée fulgurante, il invite Sartre, Simone de Beauvoir et Malraux à écrire dans Combat. L’heure est à la reconstruction, on rêve de changement. « Qu’est-ce qu’un journaliste ? C’est un homme qui d’abord est censé avoir des idées, c’est ensuite un historien au jour le jour et son premier souci est la vérité » dit Camus. Alors que le journalisme de son époque fait appel selon lui, « à l’esprit de facilité ou à la sensiblerie du public. On crie avec le lecteur, on cherche à lui plaire quand il faudrait seulement l’éclairer. À vrai dire, on donne toutes les preuves qu’on le méprise ».

Soixante-dix ans plus tard, où en sommes-nous ? Au même point, les principaux médias manipulent des stéréotypes et ne rendent pas compte de la complexité du monde. Ils font toujours appel à la « sensiblerie du public ». Les espoirs du siècle dernier ont vécu. Mais La Peste reste.

Camus a connu la clandestinité, l’angoisse omniprésente d’être arrêté, il a perdu énormément de compagnons de route. En 1944, le journal Combat est décimé, il ne reste que 2 rédacteurs.

Risquer sa vie, si peu que ce soit, pour faire imprimer un article, c’est apprendre le vrai poids des mots. Dans un métier où la règle est de louer sans conséquence et d’insulter impunément, cela fait une grande nouveauté.

 [2]

Ce livre est un manuel de survie : oui, il est possible d’agir et de refuser ainsi la fatalité de l’histoire.

Dans la Peste, le narrateur, Rieux, est docteur. L’auteur choisit cette distance « clinique » pour décrire la progression de l’épidémie, l’intrigue se déploie à travers la parole d’un témoin détaché de tout affect.

L’utilisation d’un ton neutre, le choix de la chronique est à rattacher à son expérience dans le journal clandestin, à son souci de vérité (il rend compte des massacres, pour que rien ne soit oublié) au refus de mentir sur ce que l’on sait (il a expérimenté ce que pouvait être la censure quand il écrivait dans un journal à Alger). Par ce vécu, il envisage l’écriture comme un acte de résistance à l’oppression.

Ce n’est pas par hasard que Camus choisit la peste comme analogie du fléau qui a rongé l’Europe des années 30 — 40, car on ne peut exterminer la peste, elle reste silencieuse et peut ressurgir à tout moment. Le roman se termine en décrivant un avenir incertain. Par ce détour par l’ailleurs, il rend compte de ce qu’il a vécu pendant la guerre et des questions qui l’ont traversé.

Le refus du héros

EXTRAIT

Le narrateur ne se fera pas le chantre trop éloquent de la volonté et d’un héroïsme auquel il n’attache qu’une importance raisonnable. Mais il continuera d’être l’historien des cœurs déchirés et exigeants que la peste fit alors à tous nos concitoyens. […] Le narrateur propose justement ce héros [le personnage M. Grand] insignifiant et effacé qui n’avait pour lui qu’un peu de bonté au cœur et un idéal apparemment ridicule. Le narrateur est plutôt tenté de croire qu’en donnant trop d’importance aux belles actions, on rend finalement un hommage indirect et puissant au mal. Car on laisse supposer alors que ces belles actions n’ont tant de prix que parce qu’elles sont rares et que la méchanceté et l’indifférence sont des moteurs bien plus fréquents dans les actions des hommes. C’est là une idée que le narrateur ne partage pas. Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance.

Camus répond à l’horreur par une exigence éthique, il porte les valeurs antiques de la force, de la vertu, sans jamais croire à aucune transcendance comme le montre Le mythe de Sisyphe.

Les personnages envisageant leur action comme un éternel recommencement, voire comme une “interminable défaite” ne pouvant déboucher que sur des victoires toujours “provisoires”.

 [3]

Cette conviction guide le docteur qui retourne chaque jour au combat. Cette injonction – face à l’absurde il faut agir toujours, sans se résigner et prendre la défense des victimes – peut éclairer aujourd’hui notre action face à la peste fanatique. Cette actualité permet de relire le livre et de mettre en perspective nos choix contemporains quant au traitement de l’information, à l’idéologie belliciste, au peu de moyens que l’on accorde à l’éducation. Camus allume cette petite bougie qui vacille et nous guide par cet adage « Qui répondrait en ce monde à l’horrible obstination du crime, si ce n’est l’obstination du témoignage ? »


[1Principe philosophique de Jean Grenier in Un homme, une ville , Albert Camus à Alger II/2-06 La chapelle Santa Cruz à Oran (émission radiophonique)

[2Camus A., Le refus de la haine Témoins n°8 printemps 1955 p.2-5

[3Servoise S., Penser l’histoire contre la philosophie de l’histoire … Op. Cit.


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